14/04/2025
L’acédie est un état des plus horribles que peut vivre une âme pieuse. L'acédie ne date pas d’hier, il est possible d’en retrouver des traces dans l’Ancien Testament au psaume 91 verset 5-6 :
" Sa vérité t’environnera comme un bouclier et tu ne craindras pas les frayeurs de la nuit, Ni la flèche qui vole pendant le jour, ni les maux qui s’avancent dans les ténèbres, ni les attaques du démon de midi. "
Qu’est-ce donc ce “démon de midi“ associé à l’acédie ? Tout d’abord, il faut comprendre ce qu’est l’acédie. L’acédie qui vient du grec “Akedia“ qui se traduit par “paresse, ennui, tristesse, mélancolie“ est avant tout un état d’âme. Vous savez mieux que moi que l’âme traverse différentes périodes. Parfois nous avons une foi débordante, parfois elle est tiède et parfois nous ne l’avons plus. L’acédie c’est l’état intermédiaire entre l’état où nous n’avons plus la foi et l’état où nous croyons avec confiance en Dieu. Nous savons pertinemment que Dieu existe, qu’il nous écoute, qu’il est là mais rien n'y fait : nous n’avons pas envie de prier, nous n’avons plus envie de nous rendre aux offices et de cet état d’âme découle de la tristesse, de la mélancolie et de la paresse. C’est un mot intraductible en français.
Le démon de midi dans la tradition scolastique est le démon de la tentation. C’est Évagre qui va populariser cette formulation, il est un moine du désert au IVème siècle et à cette époque les moines ne mangeaient pas le midi, ils avaient une ascèse exigeante et quand l’heure de midi sonne, les moines ont faim et ils sont tentés de manger et de succomber à la tentation d’où ce “démon de midi“ qui frappe essentiellement au moment le plus compliqué de la journée.
Saint Thomas d’Aquin dans la Somme théologique II, q.35 dit que “L’acédie (...) est “une tristesse accablante” qui produit dans l’esprit de l’homme une dépression telle qu’il n’a plus envie de rien faire (...) l’acédie implique un certain dégoût de l’action“.
Cependant, je vais particulièrement m’intéresser à notre époque car l’acédie est d’autant plus présente et forte à notre époque. On est dans un temps où la dopamine rapide, le contenu court, les petits plaisirs qui donnent des satisfactions instantanées sont omniprésents. Et quand le bon Dieu vous propose de lire sa Parole, de prier, de se déplacer aux offices : il n'y a plus personne. Car les personnes aujourd’hui ne veulent plus attendre, elles sont dans le présent et uniquement dans le présent. Aussi paradoxal que cela puisse être, elles sont la plupart enchaînées dans le passé mais ce n’est pas le sujet. Même les plus assidus dans la foi, se trouvent dans ce malheureux état d’âme qui les empêche de prier et de faire leur devoir de chrétien, c’est un phénomène qui touche tout le monde.
Saint Jean de la Croix dans son livre “La Nuit Obscure“ écrit que l’acédie a deux sources. La première est la plus connue, l’acédie provient du péché. Il est vrai que lorsque nous péchons, dans une majeure partie du temps, nous avons envie de lâcher absolument tous nos efforts en disant “J’ai péché, c’est trop tard, tant qu'à faire autant en profiter“ et c’est la porte d’entrée à l’acédie. Elle ne vient jamais de nulle part, tout a une cause dans notre univers et l’acédie n’échappe pas à cette règle. Le péché nous donne plus envie de mettre en pratique les commandements du Christ, on se dit “à quoi bon, maintenant que j'ai péché je dois attendre la confession, un péché de plus ou de moins ce n’est pas grave“. C’est en enchaînant les péchés et les mauvaises habitudes qu’on finit par perdre de vue notre objectif de base : le paradis. Et pour accéder à ce paradis il faut qu’on ait une foi vivante, une foi qui est dans l’action, une foi forte mais qui agit et l’acédie n’enlève pas la foi mais elle enlève cette vivacité. Elle tue l’envie d’être proche de Dieu, elle tue toute envie d’action. Voyez votre âme comme une forteresse, vous et vous seul pouvez désirer qui rentre et qui sort mis à part Dieu qui est déjà dans votre forteresse mais vous ne le voyez pas car vous êtes Roi de cette forteresse et en tant que Roi vous avez des obligations : la vie courante, gérer l’économie de votre forteresse, le travail, le stress, les enfants, vos obligations et j’en passe et vous oubliez Dieu. Dans cette forteresse, il n'y a qu’une seule porte pour rentrer et sortir et les péchés qui sont au nombre de milliards s’agglutinent, se bousculent à la porte de votre forteresse et forcément, quand vous décidez vous-même d’en faire pénétrer un dans votre âme, tous les autres en suivent. Parmi eux se dissimule l’acédie, elle est discrète, elle vient petit à petit prendre le contrôle de votre forteresse et quand vous l’avez laissée arriver à ses fins, vous êtes vide, mort de l’intérieur. Un brouillard spirituel s’installe. Cependant, Saint Thomas d’Aquin dans la Somme théologique II, q.35 dit : “On ne trouve pas de péché mortel chez les hommes parfaits. Mais on trouve chez eux de l’acédie (...) L’acédie n’est donc pas un péché mortel“. L’acédie n’est donc pas un péché mortel certes, il n’en reste pas moins que pour le commun des fidèles, elle utilise leurs péchés pour les atteindre spirituellement.
La deuxième source est beaucoup plus rare mais elle vient de Dieu elle-même. Saint Jean de la Croix dit à ce sujet “Quand Dieu met l’âme dans la nuit obscure, il la prive (...) afin de purifier ses passions“. Je ne vais pas m’étaler sur cette deuxième source car Dieu met de l’acédie uniquement dans les âmes les plus parfaites ou dans les âmes dans lesquelles Il est certain que cette personne en tirera de grands bénéfices et qu’elle sera encore plus attentive à la prière et à la vie chrétienne. Maintenant, comment savoir si cela vient de Dieu ou de nos péchés ? Il n’est pas compliqué de s’introspecter pour regarder d’où cela vient. Si l’acédie provoque d’énormes doutes sur sa foi au point de nous faire rater les offices, voire à l’extrême d’apostasier, soyez-en sûrs cela ne vient pas de Dieu. Ceux dont l’acédie provienne de Dieu, le savent, le ressentent au plus profond d’eux car ils n’ont pas de doutes et ce sont déjà des personnes qui sont moralement bonnes et qui marchent droit sur le chemin du Seigneur.
Il existe plusieurs moyens pour sortir de l’acédie mais avant toute chose je vais essayer de te faire prendre conscience du chemin simplement difficile qu’il faut parcourir grâce à une petite histoire : Un jeune marchand traverse le désert pour aller vendre ses produits à prix d’or dans une autre ville. La ville est loin et il est parti avec quelques jarres d’eau. Malheureusement, des voleurs vinrent lui voler toute son eau et ses marchandises, il ne reste sur lui que sa bourse d’or (totalement inutile dans un désert). Il va à droite puis à gauche en croyant voir de l’eau mais rien de tout cela : juste des hallucinations. Il n’arrive plus à trouver où est la ville d’origine cependant il aperçoit la fameuse ville qui est à des kilomètres de là où il se trouve. Il est affamé, assoiffé.
Selon toi, est-ce que cet homme, qui n’a plus rien, ni eau, ni viande doit complètement s’arrêter sur le chemin et attendre la mort ? Bien évidemment que non, il doit continuer à marcher malgré la difficulté et atteindre la ville. Il en va de même pour ta vie spirituelle, même si tu traverses un désert spirituel et que l’acédie te gagne, ce n’est pas une raison pour tout arrêter et attendre la mort spirituelle, tu as toujours avec toi ta bourse, ton or, qui représente tous les sacrements de l’Église et qui te permet de trouver un but et de continuer à avancer vers Dieu. Pourquoi le jeune marchand n’a pas abandonné ? Parce qu’il a toujours son or avec lui et il va pouvoir recevoir de l’eau et de la nourriture à foison, idem avec ta foi.
Concrètement, participer à la vie de l’Église y fait beaucoup quand on traverse une période d’acédie. Participer à la messe, aller se confesser, faire un chapelet, chanter des louanges, essayer de psalmodier : énormément de choix sont à ta disposition pour passer au mieux cette période. Il n'y a rien de plus efficace que de combattre le feu par le feu, combats l’envie de ne pas prier en priant, combats l’envie de ne pas aller à la messe en y allant. N’oublie pas que l’acédie est un état d’âme, ce n’est pas une situation éternelle, ce que tu vis est éphémère car après la tristesse vient la joie et après vient la colère et après vient l’envie et après avoir vaillamment combattu vient le bonheur éternel.